Voici un grand classique du blues qui mérite bien un article…
La naissance d’une légende
Ecrit et composé par Robert Johnson, il est édité en 1937 en 78 tours chez Vocalion records. A noter que cette version originale n’a pas été rééditée avant 1990 et l’album The Complete Recordings. En effet dès 1961 c’est une prise alternative qui est utilisée sur les diverses compilations consacrées à Robert Johnson.
Ce morceau qui raconte l’histoire d’un homme attendant à un carrefour à la nuit tombante est à l’origine de la légende qui veut que Robert Johnson ait vendu son âme au diable pour faire sonner sa guitare comme il le faisait. En réalité, il s’agissait d’une légende que plusieurs joueurs de Blues colportaient pour leur propre compte pour ajouter un peu de mystère, une sorte de proto-marketing… Le premier à l’avoir fait semble avoir été Tommy Johnson (sans lien avec Robert), bluesman contemporain de Robert Johnson, inspirateur entre autres du groupe Canned Heat.
Il faudrait voir à l’origine de cette légende le mythe de Papa Legba, un esprit du vaudou haïtien qui serait présent près des portes, barrières et carrefours. Si on le rapproche de St-Pierre, gardien des portes du Paradis, les Bad-Boys que sont les bluesmen de cette époque ont tôt fait de le transformer en Diable. Ce qui est plus cohérent avec l’idée que le Blues soit une musique du Diable jouée dans les Juke-Joints (sortes de club malfamés où on boit et on se bat, essentiellement). Et puis c’est certainement plus cool de dire « c’est le Diable qui m’a appris à jouer » plutôt que « mon prof de gratte, c’est Saint-Pierre » !
La mort brutale à 27 ans de Robert Johnson, dans une agonie spectaculaire (empoisonné à la strychnine par un mari jaloux…) n’a fait que renforcer la légende…
Pour en revenir à la chanson, plus que l’idée d’un contrat avec Satan, elle raconte en réalité la crainte pour un noir américain des années 30 de se faire surprendre sur la route à la nuit tombée : les lynchages étaient monnaie courante à l’époque et la peur exprimée par Johnson dans ce morceau bien réelle…
Un soir de 1968…
Le 10 mars 1968, lors d’un concert de sa tournée américaine, le groupe Cream reprend ce titre au Winterland Ballroom de San Francisco. Avec un tempo plus rapide et Eric Clapton au chant (alors que c’est Jack Bruce qui assure la plupart des vocals sur les titres de Cream) le premier super-groupe de l’histoire du rock propulse Crossroads à des hauteurs stratosphériques ! Le solo est un des plus brillants de la carrière pourtant prolifique en la matière de Clapton, il sera classé 10ème meilleur solo de tous les temps par le magazine Guitar World. Même si ce genre de classement ne reflète pas grand chose, force est de reconnaître que « God » a livré là une prestation exceptionnelle.
Ce titre sera repris de nombreuses fois, que ce soit sous sa forme acoustique ou électrique par des artistes aussi divers que Bob Dylan, The Doors, Steve Miller Band, Racer X ou encore Cyndi Lauper (mais oui !)…
Bref, Crossroad appartient à l’histoire du Blues, par Robert Johnson et du Rock par la grâce de Clapton, et il n’a pas fini de tourner…